Pourquoi une telle résilience des marchés européens ?
Et quels risques pèsent sur ces derniers ?
Si j’ai une grande prédiction à faire pour l’année 2023, c’est que toutes les prédictions seront fausses. Nous vivons une période extrêmement particulière, marquée par une pandémie mondiale et une guerre sur le territoire européen. Ces deux événements paraissaient impensables il y a encore quatre années.
Ces circonstances sont uniques, et donc imprévisibles. Tenez par exemple, mes six premiers articles pour The Macronomist sont remplis de prévisions qui prennent en compte des données historiques, pourtant aucunes de ces données n’interviennent dans un contexte similaire à l’époque dans laquelle nous vivons. Il est donc nécessaire de prendre ce recul, quand vous lisez mes articles ou tout autre article de presse financière.
Je ne sais pas ce qu’il se passera en cette année 2023. Du moins je ne le sais pas plus que vous ou que votre plombier. Une poignée de personne dans le monde a un accès particulier à certaines informations, mais il leur reste toujours une part importante d’inconnu.
C’est pourquoi, nous autres intervenants sur les marchés, nous raisonnons en termes de probabilité. Quelle probabilité que Jérôme Powell augmente les taux de 25 points de base, que l’inflation fasse un nouveau sommet, qu’il y ait une escalade dans le conflit Ukraine Russie, qu’il y ait un conflit entre la Chine et les USA…
Tant de paramètres à prendre en compte, une équation avec autant d’inconnue pèse trop lourd pour que quiconque puisse prétendre connaître la suite de cette année 2023.
N’oubliez jamais que nous sommes tous égaux face aux marchés, et personne ne sait mieux qu’un autre ce qu’il se passera à l’avenir. Il suffit de regarder les fameux “institutionnels” Sam Bankman-Fried (FTX), Three Arrow Capital, Celsius ou encore Terra Luna à l’échelle de la crypto. Ils sont la preuve que nous sommes tous égaux face aux marchés. Et les exemples ne manquent pas dans la finance traditionnelle.
Pensez toujours avec humilité et curiosité. Ce sont parmi les plus grandes qualités que vous pouvez avoir en tant qu’acteur des marchés.
Je terminerais cette longue introduction par une citation d’un des traders qui m’a le plus fasciné :
Ne soyez pas un héros. N'ayez pas d'ego. Remettez-vous toujours en question et remettez vos capacités en question. Ne pensez jamais que vous êtes très bon. La seconde où vous le faites, vous êtes mort.
Paul Tudor Jones
Partons du positif : les attentes pour l’Europe s’éclaircissent au fur et à mesure que l’inflation se calme, que le coût de l’énergie revient à la normale et que les craintes d’une récession s’éloignent.
Probablement bien aidé par la réouverture de la Chine et la demande fraîche qui l’accompagne, le CAC40 flirt avec ses plus hauts historiques, et l’action LVMH atteint son niveau le plus haut.
Il en va de même pour le DAX, indice allemand. Ci-dessous, un comparatif des performances du CAC40 (France), du DAX (Allemagne) et du SP500 (USA).
Depuis leurs plus bas en septembre 2022, voici leurs performances au moment ou j’écris ces lignes (30/01/2023) :
CAC40 : 22.90%
DAX : +24.86%
SP500 : 12.2%
La faiblesse du dollar a été problématique pour les Etats-Unis en ce début d’année 2023. Lui qui a été si fort durant l’année 2022 se voit désormais largement fuit par les investisseurs, tout comme les marchés américains qui ne profitent pas de très bonnes performances en comparaison avec les autres indices européens.
Les USA ne semblent pas être le thème plébiscité par les acteurs du marché pour le moment. La guerre en Ukraine et les tensions avec la Chine sont des facteurs en faveur d’une dédollarisation de ces deux pays. Également, le Brésil et l’Argentine prévoient de travailler ensemble sur une monnaie commune pour l’Amérique du Sud.
Le dollar américain ne perdra pas son hégémonie en deux semaines, mais il faut prendre en compte et observer ce changement de paradigme.
Le sujet est trop dense pour être traité ici, mais pourquoi pas dans un prochain article ?
Pour autant, en termes de politique monétaire, la Banque Centrale Européenne va se trouver dans une situation très délicate.
L’Espagne par exemple enregistre une inflation annuelle légèrement plus haute en janvier 2023 qu’en décembre 2022, de 5.70% à 5.80%.
Évidemment, nous sommes bien loin de l’inflation à deux chiffres atteinte par le pays au cours de l’année 2022, le combat contre l’inflation des banquiers centraux fonctionne pour le moment. Mais la période Volcker (dont nous avions parlé dans cet article) nous invite à rester méfiant vis-à-vis d’un assouplissement monétaire prématuré.
D’un autre côté, la Banque Centrale Européenn se prépare à mettre en place le resserrement quantitatif dès mars. Une nouvelle qui va être bien difficile à intégrer pour les marchés, qui ont profité d’achats incessants d’obligations souveraines pendant de longues années.
Comme nous pouvons le voir sur cette carte, l’Europe est fragmentée en termes de dette publique par rapport au PIB. La hausse des taux directeurs mit en place par la BCE met à rude épreuve la soutenabilité de la dette des pays les plus endettés, comme la Grèce, l’Italie ou encore le Portugal.
Encore en été 2022, la BCE achetait des obligations italiennes et vendait des obligations allemandes pour éviter la fragmentation.
Les émissions de dette des pays de la zone euro ont été multipliées par plus de deux en 2020, mais le programme de Quantitative Easing mené par la banque centrale Européenne les a complètement absorbés, ce qui a permis de maintenir les taux bas.
Désormais, les marchés vont devoir faire sans. Il est extrêmement difficile de mesurer l’impact qu’aura ce Quantitative Tightening sur les marchés européens, simplement car de telles conditions n’ont jamais été observées. La masse d’obligation détenue par la BCE est très importante, et l’arrêt du réinvestissement se fera ressentir.
Le risque est un écart des taux obligataires entre deux pays devenant trop important, qui ferait courir le risque d’un défaut de paiement sur la dette.
De quoi alimenter une nouvelle période de volatilité sur les marchés obligataires. Un élément qui, au gré de l’optimisme des marchés, me semble bien sous-évalué.
Bien qu’il soit totalement mis de côté pour 2023 depuis que les réserves de gaz de l’Europe se sont remplies, nous ne pouvons pas dire que l’Europe est tout à fait sortie d’affaire concernant l’énergie.
Selon l’IEA, (International Energy Agency), le manque de gaz en Union Européenne pourrait atteindre 27 milliards de mètres cubes en 2023 dans un scénario ou la Russie ne livre plus une goutte de gaz et que les niveaux d’importations de gaz de la Chine retrouvent ceux d’avant 2021.
Les ménages et entreprises européennes ont déjà subi une hausse de 1 trillion d’euros selon les estimations du fonds monétaire international (FMI). Si l’Union Européenne ne fait rien d’autre que de couvrir l’augmentation des prix, la somme représenterait 6% du PIB annuel de l’Union Européenne.
Voici les données du stockage de gaz en Europe par AGSI (Aggregated Gas Storage Inventory) :
Nous pouvons voir que l’hiver froid en Angleterre, et la faiblesse du vent en Allemagne ont déjà mis à l’épreuve nos stockages de gaz.
L’UE a réduit sa dépendance à la Russie de 40% du gaz importé à moins de 9% actuellement. Mais la réduction de l’approvisionnement en gaz russe ne s’est produite qu’en juin 2022.
Mais il faudra trouver de nouveau partenaires importants pour en importer des quantités massives, tout en étant en compétition avec les marchés asiatiques et notamment la Chine qui met fin à sa politique zéro covid.
Dans le rapport “Inventory build-up for 2023 starts now !” de la banque Suedoise “Seb Bank”, est indiqué :
"Devant nous, il y a l'énorme incertitude du T1 et au moins 12 mois de 'marché vendeur', car la course est lancée pour remplir les stocks de gaz naturel de l'UE à un niveau satisfaisant d'ici octobre 2023."
L’Europe n’est donc pas totalement sereine, et devra prouver qu’elle gérera cette crise énergétique sur le long terme.
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