L’industrie du jeu vidéo a connu une évolution extrêmement rapide. Passé de loisir ringard auquel s’adonnaient des geeks boutonneux moqués par les “populaires” de la cour de récré à plus grande industrie de divertissement au monde, le jeu vidéo a fait du chemin.
Naturellement, cette évolution a entraîné nombre de bouleversements, tant dans la création des jeux que dans notre façon d’y jouer. L’industrie connaît aujourd’hui un ralentissement. Va-t-elle vers le déclin ? Ou dispose-t-elle des moyens de se relancer ? C’est ce que nous allons voir dans cet article.
Avant de parler chiffres et d’envisager le futur de l’industrie, il me semblait important de revenir sur l’évolution de cette dernière afin de mieux comprendre d’où viennent les difficultés qu’elle rencontre.
Raison pour l’article du jour sera divisé en deux parties :
Partie 1 : L’évolution du secteur et les difficultés qu’il rencontre
👉 Un changement de paradigme pour les développeurs
👉 Les échecs coûtent (très) cher
👉 La dilution de l’attention des joueurs
👉 L’essor des jeux as a service
👉 Les scandales de l’industrie
👉 Le problème de la presse JVPartie 2 : Analyse économique et le futur de l’industrie
👉 Quel futur pour l’industrie ?
👉 La réalité virtuelle ne sauvera pas le jeu vidéo
👉 Le boom du jeu mobile
👉 L’avènement de l’e-sport
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Lorsque j’étais jeune, les jeux vidéo étaient encore souvent conçus par une équipe extrêmement réduite. Parfois même pas un développeur isolé dans son garage. C’est en tout cas ainsi qu’est née la première version de “Prince of Persia” en 1990.
De nos jours, le développement et la conception de ce qu’il est convenu d’appeler les jeux "triple AAA” (soit les titres les plus ambitieux de l’industrie) nécessitent des centaines de millions de dollars de budget. Et un montant équivalent juste pour le marketing. Là où, à l’époque, le bouche à oreille entre passionnés faisait le boulot.
À titre d’exemple, la production de The Last of Us 2 aura coûté 220 millions de dollars, celle de Red Dead Redemption 2 se chiffre à 800 millions de dollars (dont 300 rien que pour le marketing).
Les productions s’étalent également sur plusieurs années et mobilisent des centaines de personnes dans des équipes qui, pendant longtemps, n’ont fait que s’agrandir.
Mais, alors que la technologie n’évolue plus aussi vite qu’il y a encore dix ou quinze ans, cette course en avant vers des jeux toujours plus importants et toujours plus longs à produire est-elle encore viable ?
Car, pour rentrer dans leurs coûts, les studios sont amenés à faire des paris de plus en plus conséquents en termes de production, tout en lessivant sans fin leurs licences les plus connues, ce qui est un véritable frein à la créativité et au renouvellement du secteur.
Une attitude dommageable pour les joueurs mais compréhensible pour les studios et les éditeurs tant un échec coûte cher. Car un jeu qui ne fonctionne pas peut amener un studio au bord de la faillite.
Afin de vous donner une petite idée d’à quel point le secteur est devenu monstrueusement important dans l’industrie du divertissement en général, voici un beau graphique des revenus générés pas le jeu vidéo depuis 1970 :
Aujourd’hui, l’industrie génère près de 200 milliards de dollars par an et l’on peut noter la part exponentielle que s’accapare le jeu mobile depuis la démocratisation des smartphones.
Autre phénomène intéressant lié au développement d’internet et du jeu en ligne en général, les salles d’arcades ont disparu (SEGA aura même dû fermer ses salles en plein Tokyo dans le quartier d’Akihabara) et les joueurs ne se retrouvent plus physiquement que dans de rares soirées entre amis ou au sein des compétitions d’e-sport. Nous reviendrons sur tous ces phénomènes au cours de l’article.
Naturellement, une industrie qui grandit autant devient aussi très concurrentielle. Il est donc devenu vital pour les studios que le jeu dans lequel ils ont investi de nombreuses années et des centaines de millions de dollars soit une réussite.
Problème : le nombre de jeux qui sort chaque année est devenu si important qu’il est maintenant très difficile de se faire une place au soleil. Il en résulte que le sort d’un jeu est scellé dès la semaine qui suit sa sortie, sauf miracle. Et un échec critique peut sceller le destin d’un studio et de ses centaines de salariés.
Et même les grands éditeurs ne sont pas à l’abri comme l’a appris EA à ses dépens avec Anthem, un projet trop gros, trop ambitieux et mal dirigé qui n’aura accouché que d’un jeu insipide qui ne réinventait rien.
Spécificité du secteur des jeux vidéo, même les studios qui connaissent la réussite jettent parfois l’éponge tant le processus créatif est long et coûteux (en ressources financières comme en ressources humaines).
C’est ainsi que le très talentueux studio MIMIMI aura décidé de mettre la clef sous la porte après plusieurs jeux très bien accueillis tant par les joueurs que la presse spécialisée. Et le studio aura été clair quant aux raisons de cette décision :
En fin de compte, gérer une production à cette échelle, en combinaison avec un marché extrêmement compétitif, s’est avéré trop exigeant pour nous.
Car le jeu vidéo est un secteur ingrat. Nous le disions un peu plus haut, sa croissance entraîne de trop nombreuses sorties de jeu, et le temps des joueurs n’est pas infini. Il y a plusieurs profils de consommateurs : certains ne jouent qu’à un jeu et y passent toutes leurs soirées. D’autres font les pique-assiette mais ne peuvent pas passer 80h sur chaque titre.
Il en résulte que la plupart des jeux ne sont jamais terminés par les joueurs.
D’après une étude menée par Blake Snow un collaborateur de CNN, 90% des joueurs ne termineraient pas leurs jeux.
Je ne vois pas d’autre exemple d’un secteur de l’industrie du divertissement qui a créé autant de produits qui ne sont pas utilisés : Iriez-vous au cinéma en partant au bout d’une demi-heure de film ? C’est pourtant ce qu’il se passe dans le jeu vidéo.
Et cela est en partie dû au fait que les sorties pullulent, personne ne peut plus jouer à tout et il est facile de se perdre dans l’océan de jeux qui sont publiés chaque semaine.
Sur Steam, près de 15 000 jeux sont publiés chaque année (soit 288 jeux par semaine). Et ce n’est qu’une des plateformes à la disposition des joueurs PC !
😅 Nous sommes là face à une situation ubuesque : les studios dépensent toujours plus d’argent et d’énergie à réaliser des jeux toujours plus grands que les joueurs peuvent de moins en moins terminer.
Pour sortir de l’impasse, il me semble que l’industrie devrait renouer avec des titres plus courts, plus intenses, et moins remplis d’objectifs annexes et vide de sens que la plupart des jeux actuels.
L’une des autres pistes que certains studios explorent depuis quelques années, mais pas toujours avec succès, est celle du '“GAAS” ou “game as a service”.