Le Quantitative Tightening finira par casser quelque chose...
...Et forcer les banquiers centraux à rebrancher l'imprimante
Avant toute chose, revenons sur ces points afin que vous puissiez comprendre pleinement cet article.
Le Quantitative Tightening est une mesure de resserrement monétaire. Elle consiste à réduire la taille du bilan de la banque centrale, en cessant ses achats de titres, et en laissant les obligations acquises arriver à échéance. Si une obligation détenue par la banque centrale est remboursée par son émetteur, la banque centrale récupère la valeur de remboursement de ce titre et détruit la somme qui y est associée.
À l’inverse, le Quantitative Easing consiste à acheter des titres financiers (souvent des obligations) en créant de la monnaie. Ainsi, la banque centrale injecte de la liquidité dans le système financier.
Voilà pour les quelques définitions. Si vous souhaitez aller plus loin, je vous conseille cette excellente vidéo d’Heureka :
Comme nous en avions déjà discuté la semaine dernière, la FED draine massivement de la liquidité des marchés. Pour cela, elle utilise le Quantitative tightening et les hausses de taux.
Depuis décembre 2021, au moment ou les indices actions et les cryptos ont marqué leurs plus hauts, la FED a donc commencé à drainer la liquidité des marchés afin de lutter contre l’inflation. Seulement, le rallye exceptionnel des actions et cryptos ces deux dernières années était largement alimenté par ces mêmes liquidités.
En témoignent ces graphiques. Le premier représente le changement (en pourcentage) de liquidité sur 4 semaines de la FED, la Banque Centrale Européenne et la Banque du Japon en bleu. Et en jaune, le changement (en pourcentage) du MSCI World, un indice boursier qui mesure la performance des actions des principales sociétés cotées en Bourse dans les marchés développés à travers le monde. Nous voyons la corrélation évidente entre ces deux derniers ; le marché est stimulé par la liquidité des banquiers centraux.
Il en va de même pour le SP500, un des indices américains les plus populaires, et les réserves de la FED qui sont très nettement corrélés.
Mais comme vous le savez, désormais nous ne sommes plus en période d’assouplissement monétaire mais en période de resserrement monétaire. Hausse des taux et quantitative tightening, voyons ce que cela implique pour les marchés, avec un peu d’histoire.
En fin 2008, Ben Bernake, président de la FED, achète pour 600 milliards de dollars de titres adossés à des créances hypothécaires et des bons du trésor. Il réalise ces opérations avec des crédits monétaires numériques crée spécialement pour l'occasion. En d’autres termes, il pratique le quantitative easing, et il fait passer le bilan de la FED de 900 milliards à 2000 milliards de dollars en quelques mois.
Puis, durant les années suivantes, ce bilan est passé de 1 000 à plus de 4 500 milliards de dollars.
Une fois la grande dépression due a la crise des subprimes passées, Janet Yellen, secrétaire au trésor et anciennement présidente de la FED de 2014 a 2018 a eu pour mission de réduire le bilan de 4 500 milliards de dollars. Les marchés n’avaient alors jamais fait face à un tel quantitative easing, et devaient désormais faire face à un quantitative tightening comme jamais vu auparavant.
Afin d'habituer les marchés à ce nouvel environnement, Janet Yellen décide de mettre en place le QT de manière progressive. D'abord 10 milliards (60% en bons du trésor et 40% en titres de créances hypothécaires) puis tous les 3 mois 10 milliards de plus, jusqu'à atteindre 50 milliards par mois. Ensuite, attendre jusqu’à un retour à la normale.
Si ce plan avait bel et bien été mené jusqu'au bout, un retour à la normale (un retour aux 900 milliards de bilans comme avant 2008) aurait pris 78 mois, il aurait commencé en octobre 2017 et se serrait terminé en... mars 2024.
Cette tentative de réduire le bilan fut interrompue quand les taux d'intérêt sur les opérations de revente à terme ont augmenté soudainement explosés jusqu'à 5% le 17 septembre 2019.
Pour rappel, les repo (ou reprise en garantie) sont des prêts à court terme utilisés principalement par les banques et les autres institutions financières pour obtenir des liquidités. Les prêts repo se font généralement avec des obligations d’état en collatéral, mais ils peuvent se faire avec d’autres actifs. Une explosion du taux de repo laissait courir le risque que les banques manquent de liquidité.
Cette explosion des taux de repos peut donc induire plusieurs risques :
Si les banques n’arrivent pas à obtenir des prêts repo à des taux faibles, il y a un risque de liquidité.
Une augmentation des taux de repo peut entraîner une chute des marchés, et donc faire effet boule de neige si les actifs utilisés en collatéral sont touchés.
Ce risque a donc forcé la FED à déverser à nouveau de la liquidité, pour garder une fluidité des marchés du crédit.
Puis quelques mois après, la crise du coronavirus a eu raison des efforts de la FED, et le bilan de la FED a de nouveau explosé.
Si nous supposons que l’inflation à laquelle nous faisons face (bien qu’elle soit à la baisse) est au moins partiellement due à un problème monétaire, alors la réduction du bilan est en effet une solution, que la FED a mise en place depuis maintenant quelques mois. Mais pour encore combien de temps ?
Le nouveau plan de la FED est donc le suivant : réduire ses avoirs en bons du Trésor et titres adossés à des créances hypothécaires d'un montant combinés de 47.5 milliards par mois pendant les 3 premiers mois, puis 95 milliards de dollars par mois.
À ce rythme, la FED diminuera son bilan de près de 1 500 milliards de dollars d'ici la fin de 2023, ce qui l'amènerait à 7 500 milliards.
Afin de mettre les choses en perspective, il a fallu 24 mois à la FED pour réduire son Bilan de 800 milliards de dollars entre octobre 2017 et septembre 2019, et cela s'est terminé en effondrement de la liquidité. La FED cherche à réduire deux fois ce montant, et ce en 19 mois ? Comme nous en discutions déjà la semaine dernière dans le premier article de cette newsletter, l'illiquidité du dollar se fait déjà ressentir, et quelque chose finira par casser avant.
La FED est donc face à un dilemme. Soit elle réduit son bilan, et quelque chose finit par casser, soit elle ne le fait pas et nous laisse avec l’inflation. Qu’est-ce qu’elle choisira ? Nous le saurons très probablement dans les prochains mois, mais j’ai déjà un avis sur la question.
De plus, si la Bank of Japan, dont nous avions parlé la semaine dernière, continue d’acheter ses propres obligations bien que tout le monde cherche à les vendre, il faudra bien trouver cet argent quelque part. Étant une des plus grandes détentrices d’obligations américaines, une vente massive de la part des Japonais pourrait forcer la FED à racheter ses obligations pour éviter une panique des marchés obligataires, et donc réinjecter de l’argent.
En résumé, les risques s’accumulent sur la FED, et malgré la détermination affichée de ses membres, je doute qu’ils résistent à toutes ces pressions.