Un pivot des banquiers centraux est-il réellement souhaitable ?
Ou serait-ce le début de la fin ?
Nous parlions la semaine dernière du fait que la réduction de bilan des différents banquiers centraux finira par casser quelque chose au sein du système financier. Quand quelque chose sera cassé, il est probable que la FED opère son changement de politique monétaire, tant attendu par les participants du marché. Voyons ensemble les conséquences de changement de politique monétaire à travers l’histoire, dans ce nouveau numéro de The Macronomist.
De 2006 à 2014, Ben Bernanke est président de la banque fédérale américaine. Il introduit l’idée du “Wealth Effect”, théorie économique qui suggère que les consommateurs dépensent davantage d’argent lorsque la valeur de leurs actifs augmente. Psychologiquement, les acheteurs se sentiraient plus riches et donc dépenseraient davantage.
Le 5 novembre 2010, il justifie l’assouplissement monétaire mit en place avec cette idée, dans le Washington Post :
“Cette approche a assoupli les conditions financières dans le passé, et, jusqu’à présent, semble être de nouveau efficace. Le cours des actions a augmenté, les taux d’intérêt à long terme ont baissé lorsque les investisseurs ont commencé à anticiper cette action supplémentaire. L’assouplissement des conditions financières favorisera la croissance économique. Par exemple, la baisse des taux hypothécaires rendra les logements plus abordables et permettra à davantage de propriétaires de se refinancer. La baisse des taux d’obligations de sociétés encouragera les investissements. La hausse de la bourse stimulera la richesse des consommateurs et contribuera à accroître la confiance, ce qui peut également stimuler les dépenses. L’augmentation des dépenses entraînera une hausse des revenus et des bénéfices, qui dans un cercle vertueux, soutiendra davantage l’expansion économique.”
Et il est vrai que lorsqu’on compare le bilan de la FED avec le SP500, on peut constater que le Quantitative Easing et les taux bas ont joué un rôle prépondérant dans l’expansion des marchés financiers ces dix dernières années. Le pari est donc réussi pour Ben Bernanke, l’économie est florissante, mais à quel prix ? Une décennie plus tard l’inflation est désormais la principale préoccupation des banquiers centraux, après une décennie d’argent gratuit.
L’assouplissement monétaire est devenu indissociable de la bonne santé des indices mondiaux alors même qu’il devait être une intervention exceptionnelle.
Pendant dix longues années l’argent gratuit coulait à flots et les marchés ont performé comme jamais auparavant. Les intervenants interprètent donc (et à juste titre) que la FED fait les marchés et attendent son changement de politique monétaire.
Ces dix dernières années l’inflation était même en dessous de l’objectif de la FED de 2%, malgré les taux zéro et le Quantitative Easing.
Mais alors, logiquement, si la FED change son fusil d’épaule et fait pivoter sa politique monétaire, les marchés haussiers devraient reprendre ?
En regardant le graphique ci-dessous, nous voyons que depuis les années soixante-dix, la FED a augmenté les taux d’intérêt à plusieurs reprises. Les marchés restent généralement plats et même haussiers pendant les périodes de hausse des taux d’intêret.
Mais la FED a toujours abandonné sa politique monétaire restrictive lorsqu’une récession ou crise économique s’est profilée.
Le délai entre le pivot de la politique monétaire et la chute des marchés est assez cohérent, dans la majorité des cas la FED a commencé par hausser les taux, puis quelque chose s’est cassé. La FED a alors réagi en injectant massivement de la liquidité, bien souvent trop tard.
Le schéma est alors :
La FED monte ses taux d’intêret
Les intervenants ne croient pas en la détermination de la FED à réellement monter les taux, et continuent donc leurs achats.
Quelque chose casse, récession ou crise du crédit
Les marchés chutent et la FED pivote
Nous pouvons voir sur ce graphique le pivot de la FED et la distance avec le plus bas marqué qui a suivi. Dans la majorité des cas, ce changement de politique monétaire arrive donc au milieu, voir au début du marché baissier.
Une récession ou une crise du crédit a forcé la FED à pivoter à chaque fois, en dépit de leur détermination à hausser les taux. Pourquoi cette fois-ci serait différente ?
La FED utilise des données décalées comme l’inflation et le taux de chômage pour prendre des décisions concernant sa politique monétaire.
Quand elle intervient, il faut 6 à 9 mois pour que les effets du changement de politique monétaire se fassent ressentir. Ainsi, si quelque chose se casse dans l’économie aujourd’hui, comme une crise du crédit, et que la FED réagit, il faudra 6 à 9 mois pour que le changement monétaire soit pris en compte par les marchés.
Dans la majorité des cas, ces dernières décennies, c’est le chômage qui a eu raison de la FED. Nous pouvons voir une très claire corrélation entre le début de l’augmentation du chômage, et le fait que la FED pivote et assouplisse les conditions monétaires, comme le montre ce graphique affichant en noir les taux d’intêret effectifs et en orange le taux de chômage.
Un des deux principaux mandats de la FED est de maintenir l’emploi à un niveau acceptable. Comme nous en discutions la semaine dernière, la FED pivote en moyenne quand le taux de chômage atteint 5.7%.
La FED peut donc continuer sa politique monétaire restrictive, tant qu’il n’y a pas de crise du crédit, et tant que le chômage reste à un seuil acceptable. Seulement, nous voyons de plus en plus régulièrement des plans de licenciements massifs, pour le moment spécifiquement sur les valeurs bancaires et technologiques.
Pour le moment, les principaux en 2023 :
Microsoft : 10 000
Amazon : 18 000
Goldman Sachs : 3 200
Blackrock : 500
The Bank of New York Mellon Corporation : 1500
Coinbase : 950
Et avant cela, en 2022 :
Si les plans de licenciement massifs viennent à continuer et que le chômage vient à grimper (ce qui est probable, chaque hausse des taux s’étant terminée par une hausse du chômage) il y a fort à parier que la FED pivote rapidement. Le chômage sera priorisé sur l’inflation en amont des élections, et comme vu la semaine dernière, les 2% seront probablement relevés.
Le chômage reste pour le moment relativement bas, mais ces dernières semaines, nous pouvons constater que les contrats à plein temps n’ont pas augmenté, mais nous voyons bien une augmentation des emplois à temps partiel, plus précaires. Nous reviendrons plus en détail sur le chômage ce jeudi, alors n’hésitez pas à vous abonner pour être averti.
Et pour répondre à la question du titre de l’article, un pivot de la FED (qui serait suivi des autres banquiers centraux) ne serait sans doute pas haussier.
Comme vu tout au long de cet article, si quelque chose se casse, la chute ne fera que commencer au moment du pivot de la FED.