"L'inflation est toujours et partout un phénomène monétaire"
Milton Friedmann avait raison ?
Alors que l’inflation regagne en vigueur sur les quelques derniers mois, plus personne ne semble réellement s’en inquiéter. Ce n’est simplement plus le sujet d’actualité, et cela se ressent sur les recherches Google.
J’en profite pour réaliser un article d’opinion, ce qui est un premier essai pour ma part, et je vous invite vivement à débattre dans l’espace commentaire qui est ouvert à tous.
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Prenons la définition donnée par la Banque Centrale Européenne dans un premier temps :
Dans une économie de marché, les prix des biens et des services varient. Certains augmentent, d’autres diminuent. On parle d’inflation lorsque les prix augmentent globalement, et non uniquement les prix de quelques biens et services. Quand tel est le cas, avec le temps, chaque euro permet d’acheter moins de produits. Autrement dit, l’inflation érode progressivement la valeur de la monnaie.
Donc, concrètement, la BCE nous parle ici de l’inflation des prix. Mais, il y a une différence entre inflation monétaire et inflation des prix :
L’inflation monétaire est une expansion de la masse monétaire.
L’inflation des prix, c’est l’augmentation de tous les prix, suivi par l’augmentation des salaires. Elle n’est finalement qu’une conséquence de l’inflation monétaire.
Ces deux types d’inflation ont été soigneusement mélangés. Quand on vous parle d’inflation, vous pensez directement à l’inflation des prix, et non à l’inflation monétaire. C’est tout à fait normal.
Mais, j’aimerais qu’on discute de ces quelques paroles de Milton Friedmann à propos de l’inflation :
“L’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire en ce sens qu’elle est et qu’elle ne peut être générée que par une augmentation de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la production.”
Pour Milton Friedmann, qui est un défenseur notoire du libéralisme économique, toute inflation peut être expliquée par la création de monnaie, seulement ce n’est pas aussi simple.
Nous pouvons, pour discuter de la finance moderne, tourner la discussion autour de la crise des subprimes en 2008.
Pour rappel, et pour faire une version accélérée des faits : de la dette moisie jusqu’à l’os (les “subprimes”) a été très bien noté par les agences de notation, car elle était mélangée avec de la dette de bonne qualité. La FED a décidé de faire grimper ses taux directeurs à partir 2005, et en 2008 des citoyens font défaut sur leurs emprunts hypothécaires, et se font saisir leur maison. Lehman Brothers fera faillite et signera le début de la fin de cette crise, laissant derrière elle un trou de plusieurs centaines de milliards de dollars.
C’est une version très accélérée des faits, car nous ne sommes pas ici pour discuter de cet événement. Néanmoins, si vous avez un peu de temps devant vous, je recommande le film “The Big Short” qui explique parfaitement cette crise et qui est en ce moment disponible sur Netflix.
Bref, reparlons de l’inflation.
Après la crise des subprimes, des plans de relance titanesques ont été mis en place afin de soutenir l’économie, qui peine à reprendre son souffle. Ces plans de relance se sont traduits notamment par la mise en place du Quantitative Easing, un programme de rachat de dette de l’état par les banquiers centraux. Ces décisions ont fait exploser le rythme d’expansion de la masse monétaire :
Pour autant, est-ce que vous vous rappelez d’une période d’inflation des prix entre 2009 et 2020 ? Absolument pas, l’inflation est restée relativement stable entre 0 et 4% :
Milton Friedmann nous dit donc que l’inflation est toujours un phénomène monétaire, je vous montre qu’entre 2009 et 2020 la masse monétaire a explosé, et en même temps que l’inflation est restée stable et basse.
Comment se couvrir durant les périodes de stress des marchés ? Nous avons étudié la question dans une série de 4 articles, disponible pour les abonnés premium.
Pas vraiment. En réalité, comme je vous l’ai dit, les mesures de relance étaient constituées essentiellement de rachat massif de dette par les banquiers centraux. La dette est un actif purement financier, elle n’est pas tangible, et donc tout cet argent crée par les banquiers centraux pour acheter de la dette s’est déversé… Dans les actifs financiers.
Effectivement, vous n’avez pas constaté d’inflation des prix durant la décennie 2010-2020. Pour autant, l’argent s’est bien déversé quelque part :
Entre la crise des subprimes et le sommet de 2020, avant le krach COVID, l’indice américain “SP500” qui représente les performances des 500 plus grandes entreprises américaines, a réalisé +359%.
Voilà donc où se trouve notre inflation des prix. Ce n’est pas une inflation qui s’est ressentie sur les produits de consommation quotidienne, mais bien sûr les actifs financiers comme les actions. L’avantage, c’est qu’on est content quand les marchés montent sans interruption pendant des années, moins quand on se retrouve à payer une boîte d’œuf 5€ :).
Vous pouvez également sortir les graphiques des indices européens, le constat est le même.
Les actions n’ont pas été les seules gagnantes de ces injections de liquidités. Le marché immobilier a également explosé en termes de prix, et pour le coup c’est quelque chose que vous ressentez plus facilement.
Entre autres, cette inflation monétaire a surtout profité aux détenteurs de capital, ce qui selon moi a été un facteur important dans l’augmentation des inégalités. Si vous étiez détenteur de capital en amont, et qu’on déverse des tonnes de liquidités dans les marchés financiers, vous en profitez. Si vous n’êtes pas investis sur les marchés, votre salaire augmente lentement, juste de quoi contrer l’inflation.
Et pour le coup, ce n’est pas une opinion. Ces politiques des banquiers centraux profitent aux plus hauts revenus, ce qu’on peut voir sur les graphiques suivant.
Sur la droite, nous pouvons voir comment les richesses sont partagées au sein de la population. Nous pouvons voir que de 1983 à 2016, la part de richesse détenue par les ménages au plus haut revenu est passée de 60% à 79%, tandis que celle des ménages aux revenus moyens est passée de 32% à 17%.
Ou, comme j’aime bien l’expliquer plus simplement, l’ascenseur social est cassé.
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Graphique sur les sujets d’actualités, tirés des rapports institutionnels.
Depuis tout à l’heure, je discute de la crise financière de 2008 et du fait que la liquidité a été injectée massivement dans les marchés financiers, ce qui a donné un marché haussier impressionnant durant toute la décennie 2010 - 2020.
Mais pour remettre en perspective, la création monétaire de cette décennie n’est rien comparée à celle ayant eu lieu en 2020, après le krach covid.
Je n’ai même pas besoin d’annoter le graphique, il parle de lui-même. Des milliers de milliards injectés dans l’économie.
En le voyant, vous pouvez simplement vous dire qu’en 2020, les banquiers centraux ont réellement abusé de la planche à billets ce qui explique l’inflation. Mais, je pense que ce n’est pas uniquement une question de fond, mais également de forme, je m’explique :
En 2008, les mesures de relance se sont concentrées essentiellement sur le Quantitative Easing, donc l’achat de dette avec de l’argent fraîchement crée de la part des banquiers centraux.
En 2020, il y a évidemment eu du Quantitative Easing à grande échelle, ayant eu pour conséquence une envolée de tous les actifs financiers : Actions, Bitcoin, shitcoins, montres, Lego, Carte Pokémon, il y avait tellement d’argent que les acteurs économiques se sont mis à spéculer sur tout et n’importe quoi.
Mais, il n’y a pas eu que du Quantitative Easing. Déjà, les citoyens se sont mis à accumuler du cash, étant enfermé chez eux avec les différents confinements successifs. Mais, en plus de ça, les différents pays ont littéralement distribué de l’argent à leurs citoyens. Les échos rapportent :
Japon : 850€ par personne
Honk Kong : 1187€ par personne
USA : jusqu’à 3000$ par foyer.
Europe : Divers aides, en France des chèques pour les ménages les plus modestes.
Si on vous donne de l’argent, vous consommez. L’économie surchauffe, et l’inflation des prix arrive.
Il n’y a évidemment pas que cette distribution d’argent qui a créé de l’inflation, les tensions géopolitiques ont également provoqué une flambée des prix de l’énergie. Mais, mon opinion est que tout ceci y a largement contribué.
Et d’un autre côté, le discours des politiques et des institutions est que le conflit Ukraine Russie est responsable de l’inflation. Le fait étant que l’inflation a augmenté en amont de l’invasion de l’Ukraine par la Russie :
Et surtout, et c’est peut-être le plus important, ma question aux banquiers centraux est la suivante :
Si l’inflation est causée par le conflit Ukraine - Russie, et non pas par une expansion de la masse monétaire, pourquoi tous les banquiers centraux ont agi sur les taux directeurs, donc directement sur la monnaie ? Si ce n’est pas un problème monétaire, il n’y a pas de raison d’agir sur la monnaie, n’est ce pas ?
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Si vous ne le saviez pas, avant 1971, la monnaie était liée à l’or. L’or est un actif tangible, et limité. Ce lien qui existait entre la monnaie et l’or était une sécurité, permettant d’éviter que la banque centrale puisse faire ce qu’elle veut avec la monnaie.
Concrètement, les monnaies des pays participants devaient être convertibles en dollars à un taux fixe, et les banques centrales pouvaient racheter les créances en dollars avec de l’or à un taux fixe de 35 dollars l’once.
En 1971, le président Nixon a mis fin à cette convertibilité entre l’or et le dollar, provoquant de nombreuses conséquences qui sont répertoriées sur le site “WTF Happened In 1971?”. En voici quelques-unes :
Depuis, la monnaie est en “taux de change flottant”, ce qu’on appelle une monnaie fiduciaire. J’ai longtemps pensé que les monnaies fiduciaires n’étaient finalement liées à “rien”, ce que je pense désormais faux. Les monnaies fiduciaires sont liées à deux choses :
La confiance envers la monnaie des différents acteurs économiques
La puissance militaire du pays
Donc, une monnaie fiduciaire est de facto backée par ces événements et ces démonstrations de force. Ici en Iraq, 2003, mais c’est tout aussi valable pour les conflits qui sont en cours : Israelo-Palestinien et Ukraine - Russie.
Seulement, ce type de monnaie est vouée à mourir. À l’échelle de l’histoire entière, aucune monnaie n’a existé éternellement, nous savons qu’elles sont cycliques. Nous voyons ci-dessous les monnaies qui ont été qualifiées de “monnaie de réserve”, au fur et à mesure de l’histoire, mais cela ne change rien sur le fait qu’elles ont toutes disparu.
Ce n’est pas un processus qui se fait du jour au lendemain. Vous n’allez pas vous réveiller un jour, et paf le dollar a disparu. Actuellement, il est toujours considéré comme la valeur de réserve mondiale, mais en l’an 2300, de combien est la probabilité que le dollar le soit toujours ? Malheureusement, je ne serais pas ici pour le savoir. Il n’y a pas vraiment de solution au problème monétaire, il n’y a qu’un consensus sur le fait que l’or est la forme de monnaie ultime, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle a été choisie en tant que collatéral du dollar américain avant 1971.
Tout ça n’est qu’un grand cycle, dont nous ne connaissons pas la date de fin.
Mais, l’or a tout de même un problème : vous ne pouvez pas l’envoyer ou le transporter facilement. C’est pourquoi, je pense que Bitcoin a résolu ce problème, en étant un outil purement informatique. C’est un actif dans lequel je crois personnellement, ce n’est pas un conseil d’investissement, mais j’ai mes raisons de croire que cet actif pourrait être au moins un complément à l’or dans le temps.
Pourquoi simplement un complément ? Parce que le Bitcoin est purement informatique, une coupure d’électricité et votre épargne n’est plus accessible. L’or quant à lui restera quoi qu’il arrive.
Est-ce que je pense qu’on réglera nos achats du quotidien en Bitcoin ? Honnêtement non. Est-ce que je pense qu’il est une potentielle valeur refuge sérieuse à prendre en compte ? Oui.
J’espère sincèrement que cet article vous aura plus, et je vous invite vivement à en débattre dans l’espace commentaire, étayez vos propos, ajoutez-y des sources, je lirais tout cela avec grand plaisir. Je n’ai aucune certitude, à part celle de ne pas tout savoir :).
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Super article ! je rebondis sur "Si l’inflation est causée par le conflit Ukraine - Russie, et non pas par une expansion de la masse monétaire, pourquoi tous les banquiers centraux ont agi sur les taux directeurs, donc directement sur la monnaie ? Si ce n’est pas un problème monétaire, il n’y a pas de raison d’agir sur la monnaie, n’est ce pas ?" je me fais l'avocat du diable mais si on touche aux taux directeurs, on touche à la capacité d'acheter (les dépenses des uns sont les revenus des autres et sans dette pas de circulation monétaire, pas d'échange). Du coup, admettons qu'il n'y ait pas eu d'injection monétaire du au COVID...il reste la guerre Russie Ukraine et une pénurie de certaines choses...l'équilibre offre demande n'est plus assurée, il y a plus de demande que d'offre...pour casser cette demande on casse le pouvoir d'acheter des gens avec notamment le levier des taux. Au final, pas besoin d'une injection monétaire pour justifier la hausse des taux. Cela dit, le COVID a eu lieu, l'injection monétaire aussi et je pense comme il est indiqué que la guerre a été l'huile que l'on jette sur le feu.