“Les marchés sont trop difficiles, tu joues contre des gens qui sont super intelligents et qui ont les bons outils”.
Vous êtes bien sûrs de ça ? Trop intelligents ? J’ai quelques exemples récents qui pourraient bien contredire cette théorie :
Et les statistiques ne manquent pas, selon le NYTimes, entre 2010 et 2021, entre 55 et 87% des gérants de fonds actifs ne battent pas le SP500.
Je vais donc tenter aujourd’hui de répondre à cette question : pourquoi la plupart des conseillers financiers, même professionnels, échouent ?
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Avant d’entrer plus en détail, il faut que je vous parle du sharpe ratio.
Le sharpe ratio est un indicateur qui mesure le rendement d’un investissement par rapport à son niveau de risque.
Il compare le rendement excédentaire d’un investissement (le rendement au-dessus du taux sans risque, souvent les bons du trésor) avec la volatilité.
La formule exacte est la suivante :
C’est une formule très connue sur les marchés financiers. Aujourd’hui, nous allons surtout nous concentrer sur l’inefficience du stock picking, l’achat sélectif d’action, mais qui n’enlève pas la pertinence des autres actifs.
Et par le marché, je veux dire surtout le SP500 qui est l’indice mondial de référence, avec un rendement annualisé de 9.82%.
Il y a deux façons d’aborder cette question :
La première est de dire que non, il n’est pas possible d’atteindre un sharpe ratio meilleur que celui du marché. Si telle est votre pensée, il faut tout de même réfléchir à comment construire votre portefeuille au global : quel est le pourcentage que vous allouez au SP500 et quel est le pourcentage que vous allouez aux investissements moins risqués (bons du trésor, obligations d’entreprises, métaux précieux…).
Il me semblerait bien que c’est la façon la plus pertinente d’aborder cette question. En 2010, Engene Famma et Kenneth French, que vous devriez connaître car nous avons parlé de ces messieurs lors de l’article sur les facteurs Fama-French, ont réalisé un papier scientifique. Il démontre qu’environ 97% des gérants de fonds actifs aux Etats-Unis ont un sharpe ratio moins bon que le SP500.
La deuxième façon est de dire que oui, il est possible d’obtenir un sharpe ratio meilleur que le SP500. Vous pensez que tous les actifs ne sont pas pricés correctement, et que vous pouvez exploiter cette faille.
Admettons.
Prenons une action Tesla comme exemple.
Cette action Tesla a un risque associé que le marché price à 20% (le marché s’attend donc à un retour de 20%, pour compenser ce risque), sur une période d’un an.
Pour simplifier, disons que l’action vaut actuellement 100€.
Vous avez quelques contacts privilégiés, vous êtes au courant que dans 6 mois, Tesla sortira une citadine. Vous pensez que cette nouvelle voiture va exploser tous les records de vente.
Donc, vous pensez que cette action Tesla ne sera pas à 120€ dans 1 an, mais à 150€.
Alors, le prix actuel de l’action ne devrait pas être de 100€, mais il devrait être plus élevé.
Au lieu des 20% de rendement associé au risque du marché, vous vous attendez à un rendement de 50% (la variation entre le prix actuel, et le prix que vous pensez juste dans un an). Donc le market est misspricé, et vous pouvez arbitrer en étant acheteur sur l’action Tesla. Vous achetez un actif qui est sous-évalué. Vous vous attendez à un retour sur investissement de 50%, alors que le marché ne price un retour sur investissement que de 20%.
J’espère que j’ai été assez clair, c’est assez difficile de structurer cette idée.
Mais, vous vous doutez bien, il est extrêmement audacieux d’admettre que le marché est misspriced. Rappelez-vous de l’offre et la demande, dont nous avons discuté dans l’article “Pourquoi les marchés bougent ?”.
Dans le cas des marchés financiers et plus particulièrement des actions, qui fixe la demande ? Ce n’est pas vous ou moi, mais les joueurs importants, je pense ici à Goldman Sachs, JPMorgan, Citadel et tous ces fonds très connus.
Cela n’a aucune importance qu’on achète une, deux, ou dix actions Tesla, ce qui a de l’importance c’est quand la Bank of America achète 100 000 actions Tesla. Quand vous dites que le marché est misspriced, vous dites indirectement que vous avez une meilleure compréhension de marché que JPMorgan. Je ne dis pas que c’est impossible, mais c’est au moins très difficile.
Donc, prenons un exemple d’un analyste fondamental aléatoire d’internet. Il est tombé dans mes lectures récemment, un peu par hasard.
La thèse serait donc la suivante :
“Disney a des parcs d’attractions à travers le monde”.
“Disney détient la plupart des monuments culturels comme Star Wars ou Marvel”.
“Disney sera encore là pour un long moment”.
Eh bien, je ne veux pas paraître arrogant, mais il me semble que JPMorgan, Goldman Sachs ou encore Citadel sont bien au courant de tout cela. Étant donné que c’est eux qui fixent la demande car ils achètent des centaines de milliers d’actions, ou cet homme a un avantage ?
Absolument nulle part. Il n’a aucune idée de si l’action va monter, descendre ou faire des loopings (et moi non plus d’ailleurs).
Pour croire qu’une action est sous évaluée, il faut avoir une information supplémentaire sur les intervenants importants qui fixent le prix. On va prendre un exemple qui sera bien plus évident ; les paris sportifs.
Disons que nous avons deux équipes qui vont faire un match de foot. Elles sont aussi fortes l’une que l’autre, et donc la côte est d’un pour un.
Vous allez sur votre site de pari sportif, et pour ce match, pour 1€ misé, vous pouvez gagner 1€.
Quel est votre retour attendu sur la victoire de l’équipe une ou de l’équipe deux ? 2€ = vous récupérez votre mise et 1€ supplémentaire.
Le fait étant qu’il y a 50% de chance que l’équipe une ou deux gagnes. Votre retour moyen attendu pour un investissement de 1€ est donc 2 - 50% = 1€.
Maintenant, disons que le meilleur joueur de l’équipe 2 est blessé deux jours avant la compétition.
Vous retournez sur votre site de pari sportif, et évidemment la côte a changé. Il y a désormais une probabilité de 80% que l’équipe 1 gagne, et 20% de probabilité pour l’équipe 2 gagne.
Les côtes changent en fonction de la probabilité de gain.
Avec ces nouvelles côtes, vous avez toujours le même retour attendu pour 1€ misé.
Si vous pariez 1€ sur l’équipe 1, vous pouvez repartir avec 1,25 € mais vous avez 80% de chance de gagner, 1,25 € x 0.8 = 1.
Si vous pariez 1€ sur l’équipe 2, vous pouvez repartir avec 5 € mais vous avez 20% de chance de gagner, 5 € x 0.2 = 1.
Dans les deux cas, votre retour attendu est de 1€.
Ou, en d’autres termes, le prix reflète les chances de gagner de chaque équipe. Si entre-temps, un événement vient se rajouter à l’équation, alors les côtes s’ajusteront à nouveau.
Cela n’a aucune importance si vous pariez sur l’équipe 1 ou l’équipe 2, votre retour attendu est strictement le même.
Évidemment, sur les paris sportifs vous jouez directement contre le broker, qui manipule donc les côtes.
Disons que vous avez une action qui coûte 10€ et qui a un rendement prévu de 20% sur l’année qui arrive :
Vous devriez donc récupérer +2 € à la fin de l’année.
Puis, dans la zone géographique de cette action il se passe un événement X (géopolitique, écologique, qu’importe).
La performance attendue de l’action passe désormais à 1,20 €. Pour ajuster cette nouvelle information, et conserver le rendement initial prévu de 20%, le prix actuel change, passant à 1€. (La variation entre 1€ et 1,20 €).
Le marché intègre donc toutes les nouvelles informations qui tombent sur la table dans le prix.
Il y a une partie des gestionnaires de fonds actifs qui réussissent à battre le SP500, donc ce n’est pas impossible. Vous pouvez toujours vous exposer à une action ou un thème, suivant la narrative actuelle et votre pensée sur comment le monde va évoluer.
Par exemple, vous pouvez penser que le marché des semi-conducteurs est beaucoup plus prometteur pour les années à venir que celui des énergies fossiles.
Mais dans ce cas, je pense qu’il sera toujours plus pertinent en tant qu’intervenant particulier de s’exposer à un ETF lié aux semi-conducteurs, plutôt que d’essayer de faire du stock picking dans ce secteur (a moins que vous ayez des bonnes informations sur une société particulière).
Est-ce que cela veut dire que vous ne devez absolument pas acheter d’actions ? Pas forcément ! Vous pouvez avoir des raisons qui font que vous ayez envie de vous exposer à une action ; envie de participer financièrement à une entreprise qui vous tient à cœur et que vous trouvez pertinente, conviction dans la pertinence d’une entreprise pour les années à venir, vouloir se créer un fond de portefeuille solide avec du KO 0.00%↑ ou du AAPL 0.00%↑.
Mais il faut garder en tête que vous avez de forte chance de sous performer le marché.
Est-ce que cela veut dire que vous devez vous exposer uniquement au SP500 ? Non plus, vous devriez garder une partie avec un risque moindre et une volatilité plus faible, dont la partie reste à déterminer.
Vous devriez également vous exposer à des indices plus internationaux, afin d’éviter de vous exposer uniquement au marché américain.
C’est pour cette raison que je reste la plupart du temps sceptique sur les formations liées au monde de la bourse. C’est la part sans risque qu’il faut déterminer, et elle dépend surtout du profil du client ; un jeune de 25 ans avec un patrimoine faible aura plus de facilité à prendre des risques qu’un actif de 40 ans avec un patrimoine plus important. C’est parfaitement normal, et c’est entre autres le métier des gestionnaires de patrimoine, finalement.
Et pour répondre à la question, oui les marchés sont la plupart du temps pricés correctement. Étant donné que ceux qui fixent le prix d’une action sont les gros joueurs comme JPMorgan (pour ne citer qu’eux), nous pouvons supposer qu’ils ont déjà leurs dispositions toutes les informations.
Voilà pour l’article du jour, j’espère qu’il vous aura plu ! Si c’est le cas, n’hésitez pas à le partager à vos proches :
Quant à moi je vous dis à jeudi, pour le prochain article !
Très bel article qui nourrit ma réflexion sur ce sujet.
Je ne crois pas à la théorie des marchés efficients. Car sur le marché, il y a plusieurs types d'opérateurs : des acheteurs mais aussi des vendeurs à découvert, des traders et des investisseurs long terme. Gamestop était typiquement le cas d'une action qui n'était pas valorisée à sa juste valeur pendant la bulle.
De plus, les fonds doivent justifier leurs frais. Cela les oblige souvent à 1/ faire beaucoup tourner leur portefeuille 2/ être positionné sur des secteurs en vogue (même en sachant potentiellement qu'il y a une bulle) 3/ éviter certains secteurs. Bref, des pratiques mauvaises pour la performance à long terme.
De plus, même les JPM et Goldman ont des émotions. Ils sont top optimistes parfois et trop pessimistes d'autres fois. Aussi, souvent leur horizon d'investissement est limité car ils doivent générer de l'alpha sur le court terme. Quand une entreprise annonce des faiblesses passagères, elle se fait massacrer et ça peut être une opportunité si on est sur le long terme. Dernièrement, Adyen ou Worldline est un exemple parfait d'une surréaction à une mauvaise nouvelle.
Je pense donc qu'on a notre épingle à tirer en tant qu'investisseur particulier en faisant du stockpicking. Le tout est d'avoir une méthodologie claire et d'accepter d'y passer un peu de temps. Mais ça se fait si on aime ça.