Comment les gestionnaires de fonds abordent la période actuelle ?
Moins de cash, plus de risque, mais toujours des craintes liées à l'inflation
Avant-propos : l’article devait sortir hier, mais le site Koyfin ne fonctionnait plus et j’en avais besoin pour réaliser cet article. Désolé pour le dérangement !
La croissance, l’emploi et la consommation se sont montrés particulièrement résilients tout au long de l’année 2023, et le consensus penche donc vers un “Soft Landing”, un atterrissage en douceur de l’économie à la fin de la période de restriction monétaire.
Découvrons les dernières données du marché dans ce nouvel article.
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Utilisons dans un premier temps une image de la Bank of America qui compare les principaux thèmes de la décennie 2010 à la décennie 2020.
Je trouve cette image assez intéressante. Nous ne passerons pas sur tous les éléments, mais certains me semblent plus importants que d’autres.
L’excès monétaire est devenu l’excès fiscal
Cet élément concorde avec le suivant, les réductions d’impôts se sont transformées en plan de sauvetage ou renflouement.
Ce qui a marqué la décennie 2010 au niveau des marchés financiers, c’est l’utilisation intensive du Quantitative Easing ainsi que des taux extrêmement bas. Ces deux éléments sont liés à une politique monétaire souple, qu’on peut facilement qualifier d’excessive si nous regardons M1.
Depuis le début de l’année 2022 et l’arrivée de l’inflation, l’excès monétaire s’est transformé en restriction monétaire dans le but de ralentir l’inflation.
L’excès monétaire est devenu fiscal ; l’état aide les citoyens et les entreprises. Ça a été le cas aux USA, avec les chèques distribués aux citoyens pour qu’ils puissent continuer de consommer, ou encore le fait de décaler le payement des prêts étudiants.
Cela a eu pour effet d’avoir un déficit budgétaire sans précédent pour les USA.
Le thème “actions et obligations” est devenu “matière première et cash”
Et à mon sens, tous les éléments surlignés ci-dessous sont étroitement liés.
Nous en avons discuté lors des dernières semaines, mais le terme de l’énergie et des matières premières a longtemps été complètement délaissé.
Durant les 10 dernières années, il a sous performé les autres secteurs, comme nous pouvons le voir sur le graphique ci-dessous :
Et pour cause, le libre-échange entre les pays a longtemps maintenu les prix bas. Depuis le COVID et les tensions au niveau des chaînes de production, les prix des matières premières ou de l’énergie se sont envolés.
Puis le conflit Ukraine - Russie et la montée en puissance des BRICS sont venues apporter une pression supplémentaire.
Bien que ce ne soit pas la première fois, nous pouvons également citer les nombreuses restrictions de production de pétrole de l’OPEP qui ont contribué à la flambée des prix de l’énergie.
Pour ce qui est du cash, la raison est bien différente. Avec les taux bas et le Quantitative Easing de la décennie 2010, le cash n’avait aucun intêret ; les actions (et les indices) grimpaient indéfiniment.
Depuis fin 2021 et la hausse des taux d’intêret, le cash a largement gagné en intêret. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’après une année 2022 historique, 2023 s’apprête à marquer une collecte de capitaux historique envers les bons du trésor américain.
Et c’est tout à fait normal, la hausse des taux directeurs de la FED a propulsé le rendement des bons du trésor, ce qui les a rendus bien plus intéressant que lors de la dernière décennie.
Le trait rouge symbolise les 2% de rendement. Pourquoi les 2% ? Simplement car c’est l’objectif d’inflation des banquiers centraux, et que l’inflation est restée autour de ce seuil durant cette décennie.
Si les rendements des bons du trésor sont inférieurs à l’inflation, alors le rendement réel (c’est-à-dire corrigé à l’inflation) est négatif.
Étant donné que c’est la FED qui a commencé la hausse des taux, et que le dollar reste pour le moment la monnaie de réserve mondiale, c’est lui qui s’est le plus apprécié.
C’est selon moi l’explication de pourquoi les matières premières ainsi que le cash sont redevenus des thèmes importants par rapport à la dernière décennie.
Déflation devient inflation
Même si ce n’est pas réellement le terme approprié.
La déflation arrive lorsque le taux d’inflation est en dessous de 0 ; les prix diminuent.
💡 Attention, la déflation ne doit pas être confondue avec la désinflation, ce qui arrive lorsque le taux d’inflation baisse. Par exemple, depuis le sommet de l’inflation en 2022, nous sommes en période de désinflation (le taux d’inflation baisse, mais les prix augmentent toujours). Nous serons en déflation si le taux d’inflation passe en dessous de 0%, et que les prix diminuent.
Mais, il est vrai que la décennie 2010 a été marquée par une faible inflation, ne dépassant pas 2.5% la plupart du temps. Cependant, nous avons frôlé deux fois la déflation.
Bref, ce que nous pouvons voir, c’est que les intervenants s’attendent à ce que la FED commence à baisser ses taux durant l’été 2024.
Le problème ici, c’est que l’inflation ne devrait pas baisser à l’objectif de 2% d’ici juin 2024.
Il reste ici alors deux options :
Les intervenants se trompent, et la FED baissera ses taux plus tard. C’est évidemment une possibilité, mais je doute que la FED maintiendra ses taux élevés durant une très longue période. Soit un événement de crédit apparaîtra, soit le chômage grimpera, soit les états crouleront sous le poids de leur dette.
Soit l’objectif d’inflation sera relevé. C’est une possibilité dont nous avions déjà parlé.
Et comme nous l’avions déjà remarqué, il est possible que l’inflation soit ravivée par la récente envolée du prix du pétrole.
Dans son “flow show”, Goldman Sachs nous en apprend un peu plus sur les flux du marché.
Commençons par le type de produit acheté dernièrement :
Nous pouvons voir que les actions seules sont plutôt évitées depuis quelques semaines, au profit des produits macro (à savoir, les indices et les ETF).
Bien que les actions individuelles restent prioritaires sur l’année 2023, cette petite baisse reste intéressante à noter. Les investisseurs cherchent à se diversifier au travers des produits macro, là ou le début de l’année aurait pu se résumer en : être acheteur sur la tech, éviter le reste.
Ce graphique montre le flux vers différents secteurs et types d’actions.
Première chose, le secteur “TMT” (technology, media, and telecom) voit une sortie de fonds depuis mi-août. Étant donné que ce secteur a tiré a lui seul les indices américains, il convient de prendre en compte ces données.
Et le deuxième élément, c’est le flux important vers les valeurs défensives au détriment des valeurs cycliques.
💡 Pour rappel :
Les valeurs défensives sont moins sensibles aux turbulences économiques, et les investisseurs cherchent en les achetant une certaine sécurité (toutes proportions gardées, les actions restent des placements volatils).
Au contraire, les valeurs cycliques dépendent du cycle économique, elles offrent souvent des meilleurs rendements dans un contexte de boom économique, mais peuvent souffrir davantage en cas de récession.
Le fait que des flux importants entrent sur les produits défensifs et que les valeurs cycliques sont évitées, indique que les intervenants se méfient tout de même du contexte économique.
Dernier graphique, et potentiellement le plus intéressant, c’est le flux cumulatif par secteur. Il est affiché sur une période de 5 jours et de 20 jours, et est exprimé en écart type.
Comme nous l’avons constaté précédemment, les flux entrent vers les produits macro et les actions individuelles sont évitées ; les intervenants sont à la recherche de diversification, et/ou d’exposition sectorielle.
L’immobilier
Commençons par le plus étonnant à mon sens, le flux entrant vers l’immobilier (real estate).
Ce secteur a été évité durant toute l’année 2022 et durant la majeure partie de 2023. La politique monétaire restrictive a historiquement tendance à jouer en défaveur de ce secteur, donc cela semble cohérent que les intervenants ne veuillent pas s’y exposer.
Le graphique suivant est tiré du “Fund Manager Survey” de la Bank of America, un rapport mensuel qui questionne les gestionnaires de fonds de Wall Street.
Il montre le % net des gestionnaires de fonds de Wall Street surpondérant la place de l’immobilier dans leurs portefeuilles.
Nous pouvons voir que ce pourcentage est arrivé à des niveaux aussi bas qu’il l’a été en 2008, lors de la crise de l’immobilier.
Comme lorsque nous avions remarqué en juin que l’énergie était survendue, peut être que les intervenants essaient simplement de jouer sur le fait que le secteur de l’immobilier est actuellement sous évalué.
C’est l’explication que j’y ai trouvée, mais il n’y a pas une explication à tout sur les marchés. Si vous avez une autre hypothèse, l’espace commentaire est ouvert.
Bien de consommation de base
L’autre élément assez marquant de ce graphique, c’est le flux entrant sur les biens de consommation de base (staples en anglais).
C’est le flux entrant le plus important sur 20 jours, et il reflète finalement assez bien l’idée que nous avons évoquée précédemment, concernant le fait que les intervenants cherchaient à s’exposer à des valeurs défensives plutôt que cycliques.
Les entreprises liées au secteur “staples”, sont des produits de consommation de base, produit par des entreprises comme Nestlé, Johnson & Johnson ou encore Coca Cola Company. Peu importent les conditions économiques, ces entreprises resteront résilientes, car les acteurs économiques consommeront du Coca, se soigneront grâce à Johnson & Johnson et mangeront grâce à Nestlé.
Technologie
Nous l’avons déjà remarqué précédemment, mais le secteur technologique voit apparaître une sortie de flux impressionnante.
Nous l’avions évoqué précédemment, le dernier FMS (Fund manager survey) de la BoFa est un rapport très suivi chez les professionnels.
Commençons par l’allocation au cash.
Depuis le pic en octobre 2022, les gestionnaires de fonds se sont progressivement repositionnés, et ont moins de cash.
Cette métrique est intéressante, les gestionnaires de fonds mettent de côté beaucoup de liquide lorsque l’environnement économique présente des risques, et s’exposent lorsque le ciel semble dégagé.
Paradoxalement, bien qu’ils libèrent du cash, les gestionnaires de fonds semblent toujours assez pessimistes pour les prochains mois.
La plupart s’attendent à une économie plus faible durant les prochains mois.
Mais, et c’est encore une fois paradoxal, une large partie s’attend à un atterrissage “en douceur” ou pas d’atterrissage. Seuls 21% des interrogés s’attendent à un atterrissage difficile.
Un chiffre en baisse depuis mai 2023, ou 27% des interrogés s’attendaient à un atterrissage difficile.
27% des gestionnaires de fonds pensent qu’il n’y aura pas de récession durant les 18 prochains mois.
Finalement, ce à quoi s’attendent les gestionnaires de fonds, c’est une croissance au ralenti mais toujours positive (sinon, ils penseraient qu’il y aurait une récession), sans pour autant laisser place à un hard landing.
Ils pensent en revanche que la qualité des résultats d’une entreprise aura une place prépondérante dans les prochains mois.
C’est foncièrement différent de 2021, ou seulement 10% pensaient que les résultats avaient une réelle importance, un élément marquant l’excès monétaire de cette période.
Nous avions mis en avant l’importance de la qualité des entreprises dans les périodes économiques difficiles au cours de la série d’article “comment profiter d’un krach” disponible pour les abonnés premiums.
Passons au “crowded trade”. On pourrait le traduire par un trade que bon nombre d’investisseurs cherchent à prendre.
Être acheteur sur “les big tech” semble être de loin le trade le plus populaire actuellement, suivi par la vente sur les actions chinoises.
Être vendeur sur le marché immobilier n’est plus si populaire (short REITs), ce qui peut apporter un élément supplémentaire concernant l’entrée de flux sur ce secteur.
Les gestionnaires de fonds s’attendent à une inflation plus élevée au cours des prochains mois, mais ils pensent tout de même que la FED ne montera pas davantage ses taux d’intêret.
Le risque le plus important, c’est que l’inflation reprenne en force ce qui maintiendrait les banquiers centraux dans une politique monétaire plus restrictive.
Les événements géopolitiques, ou un événement de crédit sont les risques les plus importants après une hausse de l’inflation.
Pour conclure, 38% des interrogés pensent que la FED commencera à baisser ses taux durant la deuxième partie de l’année 2024. 36% pensent qu’elle baissera ses taux dès le deuxième trimestre de l’année 2024.
Pour conclure, je dirais que les gestionnaires de fonds s’attendent au même climat de “goldilocks economy” que ces derniers mois, avec une inflation assez faible (même si elle peut regagner quelques points) et une croissance positive, mais affaiblie.
Est-ce que cette idée est réaliste ? Jusqu’ici, la croissance américaine n’a cessé de nous surprendre. Les consommateurs américains sont toujours résilients (rapport de la BoFa à ce lien), et ce postulat ne devrait pas changer tant que le marché du travail reste aussi solide.
J’espère que l’article du jour vous aura plu ! Si c’est le cas, n’hésitez pas à le partager et à vous abonner à la Newsletter.
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